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Conseiller du Président Diori
L’émergence de la Libye

Vers la fin de 1969, la situation géopolitique de la région se trouve profondément modifiée par trois événements majeurs.

Tout d’abord, le renforcement de la stature internationale du Niger ; le président Diori n’est plus, dans la mouvance francophone, le second plutôt terne de jadis. On le consulte, on l’écoute. En Afrique, comme en Amérique et en Europe.

Seconde donnée fondamentale, la fin de la guerre du Biafra redonne au Nigéria, à la frontière méridionale du Niger, son statut de géant. Les manifestations, sans aucun doute sincères, d’amitié et de reconnaissance des dirigeants nigérians pour l’appui de Niamey durant la guerre civile, ne peuvent masquer le fait incontournable de la présence, à cheval sur la frontière nigéro-nigériane, de 30 millions d’âmes appartenant au même groupe haoussaphone.

Troisième élément d’analyse, la modification géopolitique radicale que constitue la chute du roi Idriss et l’arrivée au pouvoir d’un régime militaire en Libye, au tout début du mois de septembre 1969. Il est dirigé par un jeune colonel de 27 ans du nom de Mouammar Kadhafi. Bientôt, sa profession de foi ultra-nassérienne, ses déclarations tonitruantes, son arabo-islamisme exacerbé, son entregent, son expansionnisme à peine camouflé, créeront un malaise généralisé. Le président Diori le pressent, avec ce nouveau héraut de l’arabisme révolutionnaire à l’export, la Libye risque de devenir une source de problèmes pour le Niger en particulier, et l’Afrique en général. D’autant qu’en Algérie, voisine de la Libye, et également située sur la frontière septentrionale du Niger, Boumédiene tient, lui aussi, un langage peu rassurant : le leader algérien ne vient-il pas de proclamer sa volonté de soutenir « tous les mouvements de libération qui luttent par les armes » ?

Au fil des semaines et des mois, les craintes iront s’amplifiant, en dépit des échanges de délégations et des protestations d’amitié entre Niamey et Tripoli. En effet, le chef de l’État tchadien, M. Tombalbaye, accuse ouvertement Tripoli d’immixtion dans les affaires intérieures de son pays.

Au départ, il faut l’avouer, on a tendance à croire que le chef d’État tchadien cherche par ce biais à camoufler son incapacité à contrôler la partie septentrionale de son pays. Mais des informations de très bonnes sources _en provenance, entre autres, de Tripoli et même du Caire et destinées au seul chef d’État nigérien_ puis des renseignements recoupés montrent qu’il existe réellement une tentative libyenne de déstabilisation du Tchad par Frolinat interposé.

L’affaire est grave pour le Niger car tout au nord, des deux côtés de la frontière nigéro-tchadienne limitrophe de la Libye, nomadisent des éléments de la même ethnie toubou. Et comme me le confiait, à l’époque, M. Maitouraré Gadjo, « si nos 5 000 Toubous entrent aussi en dissidence, tout le budget du Niger ne suffira pas pour la réduire. »

Il y a plus. Toujours aux confins nigéro-libyens mais en-deçà de la frontière, des fortins édifiés du temps de la colonisation, et inoccupés par l’armée nigérienne faute de moyens, reçoivent bientôt des garnisons libyennes. Le territoire nigérien se trouve ainsi amputé de quelques 20 000 km² et le puits de Toummo passe sous contrôle libyen. Ici encore, il ne peut être question de reconquête militaire, du moins dans un avenir prévisible.

Autre élément d’inquiétude, d’aucuns considéraient naguère l’ensemble de cette région septentrionale du Niger qui englobe pourtant plus de la moitié du territoire national, comme partie intégrante de l’Afrique blanche. C’est pourquoi, précisément, le Président lui portait un intérêt tout particulier. Il gardait en effet un souvenir amer des événements qui, en 1958, avaient précédé et suivi la mise sur pied de l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS). Un courant politique assez puissant à Paris avait tenté alors de créer une psychose de sécession chez les Targuis et les Toubous du Niger. Le retour au calme avait nécessité de gros efforts.

Dès son accession à la direction du gouvernement du Niger, M. Diori Hamani s’était acharné à renforcer l’ancrage de ces groupes ethniques au sein de la collectivité nationale. Même avant l’arrivée au pouvoir du colonel Kadhafi, il était conscient de l’existence de puissantes forces centrifuges dans cette région, comme en zone haoussa. D’où son insistance pour la primauté de la lutte pour l’unité nationale, et surtout l’association constante des représentants de ces ethnies à la direction du pays. M. Diori Hamani essayait de s’assurer leur collaboration et a fortiori s’abstenait de les pourchasser, et eux, se sentant chez eux au Niger, ne semblaient pas avoir de raisons valables pour chercher refuge en Libye, en emportant plans et cartes d’ État-Major, liste d’officiers et directives militaires [1].

Cette image serait incomplète si on ne relevait enfin que les mines d’uranium de l’Aïr se trouvent précisément dans cette immensité désertique.

Dans ce cadre, on comprend mieux pourquoi le président Diori consacrait beaucoup de temps, d’efforts, de réflexion aux affaires libyennes. Il cherchait constamment des moyens nouveaux pour neutraliser le dynamisme expansionniste de Tripoli, d’autant plus dangereux pour l’indépendance nationale du Niger que Kadhafi utilisait l’Islam et le socialisme comme véhicules idéologiques. En ce réclamant de ces deux mots d’ordre, il menait « la lutte contre l’impérialisme » avec comme conséquences l’occupation d’une parcelle du territoire nigérien, et une immixtion à peine voilée au Tchad, deux pays considérés par lui comme des dépendances françaises. Est-il nécessaire de préciser aussi que les activités brouillonnes du leader libyen se trouvaient grandement facilitées par l’opulence des finances de son pays ?

Le Président, pleinement conscient du contenu dangereux pour le Niger de ce faisceau de données nouvelles ou redevenues d’actualité, sent la nécessité de repenser, de redéfinir la stratégie de son pays. Il m’invite donc, comme d’autres de ses collaborateurs, à lui soumettre mon point de vue. Je le ferai, dans un rapport daté du 18 janvier 1971.

Bien entendu, l’analyse doit prendre comme base de départ une définition géopolitique du Niger. Celui-ci se présentait _et se présente toujours_ comme un cas très particulier en Afrique francophone. Il est en effet le seul état musulman de l’Entente ; le seul, dont cinq des sept voisins sont musulmans ; le seul frontalier de deux des trois plus grands États africains ; le seul à constituer le lieu de rencontre privilégié de l’Afrique noire et de l’Afrique blanche ; le seul à avoir un groupe ethnico-linguistique constituant, au sud de la frontière du Niger, la majorité de la population du Nigéria ; enfin, il est le seul à avoir sur sa frontière septentrionale deux États arabes qui se veulent progressistes.

Cette différenciation, elle-même cause directe de la prise de position originale du Niger dans l’affaire du Biafra, signifiait _et signifie_ ipso facto un rôle amoindri de l’ensemble francophone. Or, « cet affaiblissement de l’Entente est incontestablement regrettable... En effet, dans le contexte de la réalité géopolitique décrite ci-dessus, l’Entente et la mouvance française constituent des contrepoids d’une extrême importance _face aux États arabes du Nord et au Nigéria dans le Sud_ pour préserver et accroître la liberté de mouvements du Niger. Nous n’avons aucun intérêt, au contraire, à l’affaiblissement de l’Entente. Cela doit constituer, à mon avis, l’une des données de base de la politique nigérienne. »

Dans ce contexte, le leader libyen demeure la grande inconnue. Quelle attitude adopter envers lui ? Comment le rendre réceptif à l’inéluctable modération de la politique du Niger avec ses voisins ? Le mieux serait, me semble-t-il, de jouer franc jeu. De mettre en relief, clairement, l’appartenance du Niger à l’ensemble francophone ; son appartenance à l’Entente ; la pauvreté extrême du pays qui le rend tributaire de l’aide financière et surtout technique de la France ; les difficultés de tous ordres auxquelles il fait face chaque fois qu’il adopte une position indépendante, avec le cas du Nigéria par exemple ; la volonté du Niger, soucieux de parfaire son indépendance, de contrebalancer le fait francophone par de solides rapports de bon voisinage avec ses voisins du Nord et en particulier avec la Libye à laquelle l’attache un héritage islamique commun et une frontière commune...

Le Président aura bientôt l’occasion de jauger le nouveau dirigeant libyen. En effet, le 17 février 1971, dix-huit mois après l’arrivée du Colonel Kadhafi au pouvoir, le président Hamani Diori sera le premier chef d’État d’Afrique sub-saharienne à se rendre en visite officielle à Tripoli.

Le voyage sera fructueux dans la mesure où il sera couronné par la signature d’un traité d’amitié et de bon voisinage, et par la décision de créer une commission nigéro-libyenne de coopération économique. Israël sera condamné, certes, dans le communiqué commun, mais l’affaire ne soulèvera guère de vagues. Quant au problème tchadien, il ne sera pas mentionné dans le communiqué ; le Président n’en avait pas moins reçu de son hôte la promesse formelle quoique verbale qu’il s’abstiendrait de toute immixtion dans les affaires intérieures du Tchad...

Hélas ! ce dernier problème reviendra au premier plan de l’actualité africaine quelques mois plus tard. En effet, dans la nuit du 26 au 27 août 1971, Fort Lamy annonce l’échec d’un coup d’État et le lendemain la rupture des relations diplomatiques avec la Libye, accusée d’ingérence dans les affaires du Tchad. Tripoli riposte le 18 septembre en reconnaissant le FROLINAT (Front de Libération National Tchadien) comme représentant du peuple tchadien et en permettant à cette organisation d’ouvrir des bureaux en Libye.

Ce même jour, le président Diori arrive à Tripoli, y reste vingt-quatre heures et repart pour Niamey avec l‘accord du colonel Kadhafi pour une médiation nigérienne. Quarante-huit heures plus tard, il s’envole pour Fort-Lamy [2]. Les négociations seront dures et longues, M. Tombalbaye faisant preuve de réticence envers le médiateur nigérien. Finalement, au bout de six mois d’efforts et douze jours de négociations ardues, les délégations libyenne et tchadienne, réunies à Niamey, signent le 12 avril 1972 un communiqué normalisant les relations entre les deux pays...

Entre-temps, l’influence du président Diori aura augmenté grandement à Fort-Lamy, et surtout à Tripoli. Pour Kadhafi, le Niger du président Diori ne peut être une terre d’aventures comme le Tchad. Il se doit de le ménager. Le chef de l’État nigérien, je puis en témoigner, n’en demandait pas davantage, au plan politique bien entendu : ne pouvant se payer le luxe d’affronter Kadhafi, il voulait le neutraliser, l’amener à prendre en compte les intérêts du Niger.

Il en allait autrement au plan économique. Le Président ne cachait pas son impatience. Il voulait que sa laborieuse médiation au profit des deux parties en cause, soit payée de retour par Tripoli. La déception viendra bien vite. Elle sera à la mesure des illusions que nous nous faisions alors sur l’apport des revenus du brut libyen au développement du Niger.

L’échec sera évident à l’automne 1971. En effet, lors de la visite du président Diori en Libye, en février, le colonel Kadhafi lui avait promis une subvention de trois millions de dollars et des prêts totalisant quelque dix millions de dollars, pour différents projets de développement. Nous voulions matérialiser ces promesses au plus vite.

Donc, le 14 octobre 1971, une délégation de treize personnes conduite par le ministre Mouddour Zakara, et comprenant M. Mai Maigana [3] et M. Harouna Bembello [4] arrive à Tripoli pour des négociations que nous espérons fructueuses. La délégation dans son ensemble fait preuve d’optimisme et pense qu’il sera possible de faire entériner par la délégation libyenne le projet de « Commission mixte nigéro-libyenne pour la coopération économique et culturelle » ; ses membres croient pouvoir obtenir également le financement des études pour la construction du barrage de Kandadji et pour divers autres projets hydro-agricoles.

Un effort particulier avait été fait pour présenter à la délégation libyenne des descriptifs en arabe des différents projets. Peine perdue. Chacune des deux délégations se trouve dans un monde à part. Ainsi, le samedi 16 octobre, en pleine réunion plénière, le commandant Jalloud nous expose la doctrine libyenne de l’aide :
« Dix-sept pays étrangers, dit-il, ont demandé à la Libye une aide économique ;
« La Libye a décidé de créer une Société d’Investissements dont la vocation sera de gérer les investissements libyens à l’étranger ;
« La Libye demandera au Niger et aux autres pays aidés de garantir les investissements libyens ;
« La Libye, avant d’accorder son aide, étudiera la législation nigérienne à ce sujet, y compris la question du rapatriement des bénéfices ;
« En principe, la Libye est prête à aider le Niger, si ce dernier a des projets rentables susceptibles de générer des profits.
 »

Deux jours plus tard, le commandant Houni, autre membre du Conseil du Commandement de la Révolution, vient compléter le concept libyen de la coopération en nous déclarant, tout aussi innocemment :
«  Vous êtes habitués à coopérer avec les pays capitalistes occidentaux qui cherchent non seulement à faire des bénéfices chez vous, mais à vous exploiter. Avec nous, vous n’avez à craindre aucune exploitation... »

Lui aussi se veut rassurant, fraternel ! Je pense que les deux dirigeants libyens ignoraient tout simplement que le FED, la France, le Canada, l’Allemagne Fédérale, prêtent _ou donnent_ chaque année, au Niger, plusieurs milliards à des conditions fort avantageuses.

À mon regret, le chef de la délégation nigérienne ne jugera pas nécessaire d’éclairer ses hôtes.

Même hésitations, réticences ou ignorance à propos des autres points à l’ordre du jour, qu’il s’agisse de l’Accord aérien, de celui sur la libre circulation des personnes, ou de la question de l’indemnisation des biens des citoyens nigériens expulsés de Libye.

Le cas le plus typique sera celui de la « Commission Supérieure Mixte », titre limitatif et vague préféré par les Libyens à celui de « Commission mixte pour la coopération économique et culturelle » que propose la délégation nigérienne. Certes, un accord sera signé, mais l’organisme auquel il donnera naissance aura été au préalable vidé d’une grande partie de sa substance.

Par contre, et aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la partie libyenne adopte une attitude plutôt positive sur le problème considéré le plus épineux, à savoir celui de la frontière nigéro-libyenne. La position du Niger sur ce litige a été précisée en termes fort sévères par Mouddour Zakara. Pour le valeureux et sympathique ministre targui qui connaîtra un deuil si cruel [5], « cette question de frontière (est) capitale pour notre pays que nous commençons à peine à mettre en valeur sur le plan des richesses du sous-sol. »

Les négociations techniques, cartes à l’appui, sont menées par le capitaine Moussa Sala, alors chef du troisième Bureau de l’État-Major. Commencées dans une atmosphère tendue, les discussions prendront rapidement une tournure positive.

Selon la synthèse rédigée à l’issue de cette réunion, « les deux parties décident de mettre en place le plus tôt possible un comité mixte qui aura à examiner tous les aspects techniques de la question. Ce comité, est-il précisé encore, prendra en considération aussi bien les documents officiels (conventions du 12 septembre 1919 et du 10 août 1955) que les cartes géographiques et photos aériennes disponibles de la région frontalière et les étudiera dans un esprit d’amitié et de fraternité. »

Mouddour Zakara considère ces résultats comme encourageants, et se montre beaucoup moins pessimiste qu’à son arrivée. Selon lui, la position de la délégation libyenne peut être résumée de la façon suivante : « Il faut que ce problème soit résolu dans un esprit d’amitié et de fraternité, et ne pas oublier que les impérialistes ont fait ces tracés frontaliers de façon à ce qu’ils constituent une pomme de discorde entre voisins. »

De même, selon le capitaine Moussa Sala, les demandes présentées par les FAN (Forces Armées Nigériennes) _spécialement sur le problème de ravitaillement de la patrouille mensuelle de l’armée nigérienne aux confins nigéro-libyens_ ont « reçu entière satisfaction ».

Mais ces facteurs positifs mis de côté, les résultats d’ensemble des discussions de Tripoli me paraissent maigres, bien décevants, en particulier sur le problème de l’aide économique. Ce sentiment de déception, voire de frustration, prévaudra jusqu’au putsch des militaires nigériens. Mais le fait même que les choses n’aient pas empiré pouvait être considéré _et tel était notre état d’esprit d’alors_ comme un succès.

À partir de là, le Président, conscient du rapport des forces défavorable au Niger, connaissant par ailleurs le caractère fantasque de Mouammar Kadhafi, optera définitivement pour la « résistance en douceur ». Il fera comprendre au colonel libyen qu’il est prêt à se montrer flexible, mais à la condition expresse que la priorité soit accordée au développement de son pays. D’où la propension du Président à faire preuve d’inertie et à poser continuellement aux Libyens le problème de l’aide financière au développement du Niger, quand eux demanderont un appui politique dans tel ou tel cas.

Depuis l’élimination du président Diori de la scène africaine, les relations entre Tripoli et Niamey sont allées en se détériorant. Le régime militaire a appris à ses dépens ce qu’il en coûtait de vouloir ignorer la psychologie d’un partenaire-adversaire comme le colonel Kadhafi. On en est arrivés aujourd’hui au point où il peut déclarer, avec un rien de cynisme :
« Les Touareg sont originaires de Libye. Nous ne les incitons pas à faire la révolution dans les pays où ils vivent. Nous les invitons à revenir chez eux, puisque nous avons les moyens de les installer et de les assimiler. » [6]

Encore heureux que les forces de Goukouni Weddey soutenues par Tripoli n’aient pas songé à élargir le front tchadien au Niger. Quoique l’attaque de la sous-préfecture de Tchin Tabaraden par « un commando de Touareg venus de Libye » [7], si elle était confirmée, ne laisserait présager rien de bon.

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