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6 . Vive le Québec libre - Ouvrages - Conseiller du Président Diori - Fonds d'archives Baulin
Conseiller du Président Diori
Vive le Québec libre

La coopération nigéro-canadienne représente, à mon sens, un exemple typique de l’habileté du président Diori à exploiter une situation objective donnée pour le plus grand profit de son pays.

On sait que cet axe Niamey-Ottawa fut bénéfique pour les deux protagonistes. Mais on ignore, ou du moins on sous-estime souvent le nombre et l’importance des embûches, des obstacles que le Président dut éviter ou contourner pour atteindre ses objectifs.

La relation de quelques uns des chapitres de cette saga situera mieux, semble-t-il, les perspectives de la politique de l’État nigérien d’alors.
Mon premier séjour à Ottawa se situe vers la fin de 1965. Chargé par le président Houphouët-Boigny de la promotion économique de son pays et de la diversification de ses partenaires, j’avais mis sur pied un programme de prospection des marchés de capitaux. Je cherchais aussi à faire dévier vers la Côte d’Ivoire [1] une fraction de l’aide publique au développement.

Le Canada se trouvait en tête de ma liste. Pour des raisons essentiellement politiques. Les Canadiens français luttaient alors pour l’autonomie interne sous la conduite de leur Premier ministre libéral Jean Lesage. Ils avaient engagé l’épreuve de force avec le gouvernement fédéral particulièrement obtus à l’époque, et dominés par les anglophones. Or, le Canada, en dépit de son caractère dual et de sa richesse, ne se manifestait guère en Afrique francophone. Donc la cible se présentait, théoriquement, sous un angle favorable.

L’accueil qui me fut réservé lors de ce premier contact ressemblait fort à la température extérieure : après une bonne heure d’antichambre, un fonctionnaire hautain, un francophone plus anglais que nature, et dont l’attitude ravivait de vieilles blessures chez le « native » que j’avais été, me recevait avec un visage figé, glacial.

Dans cette atmosphère, les échanges devinrent bien vite désagréables : mon hôte s’étonnait à haute voix et avec une ironie à peine voilée, que « l’aide généreuse de la France » ne suffise pas aux pays d’Afrique francophone ; pour ma part, je lui demandais s’il ne ressentait pas, en tant que Canadien français, la nécessité pour un pays binational comme le Canada, de traduire ce caractère particulier au plan des relations internationales.

Huit mois après ce premier échec, je me présente de nouveau à Ottawa pour une nouvelle tentative. En effet, M. Daniel Johnson, un nationaliste agressif du Canada français et chef de file de l’ « Union Nationale », vient de remporter une brillante victoire aux élections provinciales du Québec en revendiquant « l’égalité ou l’indépendance ».

Le changement d’attitude est, me semblait-il, perceptible : M. Gaudefroy, directeur du programme d’assistance aux pays francophones, comme M. Touchette, directeur du Département Afrique au ministère des Affaires extérieures, commencent à montrer de l’intérêt. Mais de toute évidence, ils me l’ont dit, ils ne disposent pas de moyens financiers pour le moindre effort en faveur de la Côte d’Ivoire et du Niger _pour lequel je travaillais depuis peu_ à part leurs professeurs sur place et les stagiaires ivoiriens au Canada.

En décembre 1966, nouveau séjour et premier succès : mes interlocuteurs proposent l’édification et la gestion d’une école secondaire technique pour chacun des deux pays. C’est bien maigre, mais c’est un premier pas. Je ne me fais pas d’illusion : la récente décision de l’Organisation Commune Africaine et Malgache de promouvoir la « francophonie » ne doit pas être étrangère à ce succès.

J’y retourne encore en mars. Pour une évaluation de la situation politique à la veille de l’Exposition Universelle de Montréal (Expo 67), mais aussi, conformément à la tactique suivie en Allemagne fédérale et en Scandinavie, pour créer un cercle d’amis. L’objectif est de susciter un courant d’opinion favorable aux deux pays que je sers, et aussi d’intéresser le secteur privé à leur développement [2].

Donc, la Côte d’Ivoire et le Niger commencent à être connus, à attirer l’attention des cercles officiels d’Ottawa comme des milieux d’affaires de Toronto et de Montréal.

C’est dans ce contexte, et à ce moment précis, en juillet 1967, que le général de Gaulle lance du haut du balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal son fameux «  Vive le Québec libre ». C’est un mot d’ordre clair. Le plus illustre des Français sort des sentiers battus des déclarations emberlificotées en usage jusque là. Il n’en est plus à laisser entendre ou supposer son appui au droit des Québécois à l’autodétermination, à l’indépendance.

L’événement se transforme en crise majeure quand de Gaulle décide d’écourter sa visite et de rentrer directement de Montréal à Paris, sans se rendre à Ottawa, la capitale du Canada.

À ce stade, il faut nous arrêter un moment et analyser de façon succincte la crise franco-canadienne. En effet, sa perception par le président Diori Hamani aura de grandes conséquences pour le Niger comme pour l’Afrique francophone.

Dans la semaine qui suit l’esclandre de Montréal, le président Diori interroge officiels et officieux. Il est atterré. Lui, avait saisi toute l’importance du filon économique et politique canadien pour le Niger. En tant que président de l’OCAM, il estimait à sa juste valeur l’émergence du fait francophone au Canada et son impact à venir sur l’attitude jusque là « anglo-saxonne » du Canada. Est-ce la fin de sa vision de perspectives nouvelles et aguichantes pour l’Afrique francophone en général, et le Niger en particulier ?

Première question : pourquoi de Gaulle, si pointilleux d’ordinaire sur le problème de la non-ingérence, a-t-il violé de façon si brutale ce principe de base des relations internationales ? Et de plus, sur le territoire même de l’État intéressé ?

À Paris, les opinions divergent. Pour les uns, il a rendu à Ottawa la monnaie de sa pièce : en 1960, le gouvernement canadien n’avait-il pas exercé des pressions « intolérables » pour amener de Gaulle à accélérer le processus de l’auto-détermination, droit octroyé aux Algériens l’année précédente ? Le Premier ministre canadien n’avait-il pas alors menacé de retirer son soutien à l’ONU ? Pourquoi les départements français de l’Algérie devaient-ils avoir le droit à l’auto-détermination et pas le Québec ?

Selon une autre thèse, plus sentimentale, de Gaulle aurait voulu réparer « la faute de nos rois », celle des bradeurs de « quelques arpents de neige ».

Enfin, pour d’autres, la réception populaire, organisée de main de maître par certains activistes français et leurs amis québécois, aurait « intoxiqué » le Général et l’ambiance au bas du balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal aidant, l’aurait amené à commettre un impair.

Deuxième question : quelles sont les réactions dans les milieux parisiens de la presse, de la politique ?

Là, les choses sont plus claires : la consternation paraît générale et les partisans du Québec indépendant semblent bien minoritaires. Très minoritaires. Quelques coups de fil, quelques déjeuners avec des journalistes, des membres de cabinets ministériels, et nous sommes fixés : l’administration dans son ensemble ne suit pas le Général. L’opinion publique non plus.

Bientôt la plupart des ténors de la presse affichent leur hostilité. Sirius, le plus prestigieux des journalistes, rappelle dans le Monde que « la vieillesse est un naufrage », insiste, relation de cause à effet, sur « la peine, l’angoisse des fidèles du général » et diagnostique « une hypertrophie maladive du moi ». Le Figaro, quant à lui, titre : « Un faux pas ». L’auteur de l’article, André François–Poncet, oracle diplomatique plus ou moins chanceux sous trois républiques, de plus membre de l’Académie Française, se défend de « vouloir accabler le pécheur » ; il ne s’en prend pas moins au « régime personnel », accuse le Général de s’être « fourvoyé » et surtout lui reproche de ne pas être « assez modeste pour reconnaître son erreur ».

Plus caractéristique encore, un gaulliste intransigeant et inconditionnel comme Pierre Charpy, en est réduit à nier que le Général ait voulu encourager le « séparatisme québécois ». De Gaulle lui-même se chargera de lui infliger un démenti en réitérant en public, à Paris, sa conviction de l’accession inéluctable « du Québec au rang d’un état souverain ».

Et puis il y a le silence gêné des ministres du Général. Aucun d’entre eux ne prend, à ma connaissance, position publiquement pour un Québec indépendant. Au contraire. Les informations qui me parviennent portent à croire qu’ils déplorent ce qui s’est passé à Montréal quand, tel M. Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères, ils ne le condamnent pas. Des hauts fonctionnaires abondent dans le même sens. Quant au Premier ministre, M. Georges Pompidou, on le dit « mal à l’aise », même si son directeur de Cabinet, M. Jobert, apparaît comme l’un des principaux champions de la cause québécoise.

Quelques jours encore et Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la Fédération des Républicains indépendants, ancien ministre du général de Gaulle, s’en désolidarise en proclamant son « angoisse » face aux bévues inhérentes à « l’exercice solitaire du pouvoir ».

Une fois arrivé à ce stade de l’analyse des forces en place, une troisième question vient tout naturellement à l’esprit : face à cette hostilité généralisée touchant toutes les catégories sociales, toutes les organisations politiques, sur qui s’appuie le général de Gaulle ? La tentation est grande de répondre : Jacques Foccart. Mais les critiques émises par certains de ses collaborateurs devant deux de nos amis, laissent supposer l’existence d’un autre pôle d’activité, collaborant certes avec le réseau Foccart, mais indépendant de ce dernier.

J’apprendrai effectivement l’existence d’un tout petit groupe d’activistes pro-québécois dont l’impact sur les relations franco-canadiennes était _et sera_ hors de proportions avec sa taille.

Donc fin août, le président Diori sait exactement à quoi s’en tenir : l’ensemble de l’ « establishment » français est hostile à l’attitude du général de Gaulle. On retiendra la thèse de l’intoxication.

Cela aura, à mon avis, trois conséquences majeures sur la stratégie du chef de l’État nigérien.

Tout d’abord, l’absence patente d’homogénéité du pouvoir, de l’appareil d’État français, apparaît en pleine lumière : le Président en gardera un souvenir précis. Et quand, en pleine guerre de sécession du Biafra, M. Jacques Foccart, appuyé par M. Houphouët-Boigny, viendra lui dire « le Général souhaite... », « le Général pense... » ou « le Général voudrait... », il se demandera, à juste titre, s’il s’agit d’un vœu du Chef de l’État ou de celui d’une quelconque faction.

Ensuite, durant la « bataille » de la francophonie qui se déroulera bientôt en territoire nigérien, le Président passera outre au matraquage psychologique, aux manœuvres et aux pressions des organisateurs de l’équipée québécoise. Ils parleront haut et fort, au nom de la France bien entendu, sans l’impressionner pour autant.

Enfin, basant sa politique sur une évaluation correcte du rapport des forces, le président Diori me demandera de poursuivre et d’accélérer mes interventions au Canada. Il me recommandera de préciser « en passant », à mes interlocuteurs, que «  le président Diori Hamani qui lutte pour parfaire l’unité de son pays, ne peut participer au démantèlement de celle d’un autre pays. »

Il résistera aux pressions du lobby parisien et sera le seul à s’acharner à développer les relations politiques et économiques avec le Canada. Il le fera en dépit des manœuvres et mises en garde sévères _voire menaçantes_ lancées par ces mêmes milieux parisiens.

Dans l’immédiat, la tension entre Paris et Ottawa augmente encore.

Le général de Gaulle s’obstine à multiplier les gestes inamicaux envers Ottawa. Ainsi, recevant en décembre 1968 le nouvel ambassadeur du Canada, il lui parle de ses Lettres de créance « par lesquelles votre gracieuse souveraine, qui est en même temps celle du Royaume-Uni, de Grande-Bretagne et d’Irlande vous a désigné... » En janvier 1969, M. Cardinal, vice-président du Conseil des ministres du Québec est reçu à Paris avec les honneurs militaires, et rencontre quatre fois le Général en quatre jours. Mais si de Gaulle se réfère aux « Français du Québéc », M. Cardinal, plus prudent, porte ostensiblement un toast « à nos deux peuples », sans plus de précisions.

En fait, on le sent, le cœur n’y est plus. Le Général s’est déjà pleinement rendu compte de son isolement. Au demeurant, d’autres soucis l’accaparent à trois mois de sa démission.

Durant toute cette période, s’étendant de juillet 1967 à avril 1969, Diori Hamani paraîtra isolé. Aucun de ses collègues africains n’esquissera le moindre geste de solidarité. Cette situation l’inquiétera sans ébranler pour autant sa conviction d’être sur la bonne voie. La suite des événements lui donnera bien vite raison.

En effet, moins d’une année après la démission du général de Gaulle, M. Mitchell Sharp, secrétaire d’État canadien aux Affaires extérieures, sera reçu à Paris par le ministre des Affaires étrangères M. Maurice Schuman. Celui-ci l’assurera que « le gouvernement français n’a absolument pas et n’avait jamais eu l’intention d’intervenir dans les affaires intérieures du Canada. »

Georges Pompidou enverra bientôt son ministre des Affaires étrangères en mission de réconciliation à Ottawa, en attendant l’annonce officielle par le Quai d’Orsay, en octobre 1974, que Paris considère le problème du Québec comme « une affaire intérieure canadienne ». Enfin, en novembre 1982, en recevant le Premier ministre du Canada M. Trudeau à l’Élysée, le président Mitterrand confirmera le souci du gouvernement français « de respecter la souveraineté du Canada ». [3]

Bien entendu, dans l’immédiat, personne ne saura gré au président Diori d’avoir eu raison avant les autres. C’est pourquoi la coopération entre le Niger et le Canada se développera dans une atmosphère permanente de tension entre Niamey et Paris. Cette tension survivra même au rapprochement franco-canadien. L’ensemble de l’establishment parisien, oubliant son opposition de naguère au « Québec libre » refuse, semble-t-il, d’accepter qu’un état francophone d’Afrique puisse faire cavalier seul.

L’hostilité de ces milieux parisiens sera multiforme. Elle ira des manifestations d’impolitesse, voire de grossièreté, aux tentatives de neutralisation de la coopération nigéro-canadienne.

Exemple d’impolitesse. Le 7 janvier 1971, M. Harou Kouka, ministre nigérien de l’Éducation, arrive à Paris pour demander à son collègue M. Yvon Bourges, de recevoir dans les universités françaises 13 des 130 étudiants nigériens expulsés de Côte d’Ivoire. « Alors, lui répond le ministre de Georges Pompidou, vos amis canadiens vous laissent tomber ? Vous pourriez, ajoute-t-il, vous adresser avec plus de profit à nos camarades québécois. » Puis il ramasse ses papiers et quitte son bureau en laissant Harou Kouka en tête à tête avec l’un de ses collaborateurs. Cette absence totale de tact avait profondément traumatisé le ministre nigérien.

Donc la coopération avec le Canada se situe, pour le Niger, dans un contexte de harcèlement incessant de certains milieux parisiens, de mauvaise volonté évidente et de vexations plus ou moins mesquines. Mais elle se situe également dans le cadre d’une crainte constante de voir Ottawa régler ses problèmes avec la France en sacrifiant le Niger.

Pour sa part, le président Diori tenait absolument au développement constant de cette coopération sur tous les plans. Pour lui, la valeur spécifique de l’aide canadienne provenait du fait que pour la première fois dans l’histoire des jeunes républiques francophones d’Afrique, une puissance étrangère prenait l’initiative de s’intéresser, en particulier, en priorité, au pays le plus déshérité de la région. Pour Diori Hamani, il me l’avait confié, négliger ce paramètre par lâcheté ou simple complaisance aurait signifié trahir sa mission de chef d’État.

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