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U-003-334 - NOTES - classeur U - Fonds d'archives Baulin

U-003-334

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LE MONDE - 23 juin 1977 - Page 13

DEFENSE


Libres opinions


L’ imposture nucléaire de la gauche


par JEAN-MARIE MULLER Membre du Mouvement pour une alternative non violente.


Les dirigeants de l’ union de la gauche semblent de plus en plus nombreux à penser qu’ un gouvernement socialiste devra accepter avec reconnaissance de recevoir de la droite la bombe atomique en héritage. C’ est ainsi que les trois rapports présentés devant le comité directeur du parti socialiste, lors de sa réunion des 6 et 7 novembre 1976, par Charles Hernu, Robert Pontillon et Jean-Pierre Chevénement, augmentent tous les trois en faveur du ralliement de la gauche à la force nucléaire stratégique. Et lors de sa session du 11 mai 1977, le comité central du parti communiste a approuvé le rapport présenté par Jean Kanapa, qui affirme qu’ "aujourd’hui, l’ armement nucléaire représente le seul moyen de dissuasion réel dont disposera, pour un temps, le pays pour faire face à une menace d’ agression".


Pour notre part, nous considérons ces ralliements comme une véritable reddition. Le plus grave est que ces dirigeants de la gauche se rendent aux arguments de la droite, non pas parce qu’ ils ont perdu la bataille, mais parce qu’ ils abandonnent le combat. Nous n’ acceptons pas cette reddition. Ce que nous n’ avons pas accepté des tenants du capitalisme, nous avons encore plus de raisons de le refuser aux tenants du socialisme.


Si nous concevons clairement les enjeux de la stratégie nucléaire, nous ne pouvons pas ne pas prendre conscience que le choix devant lequel nous sommes placés n’ est pas celui d’ une certaine défense, mais celui d’ une certaine société, plus que cela encore, d’ une certaine civilisation. Car il existe, selon nous, une éthique socialiste, une culture socialiste qui reposent sur une certaine idée de l’ homme qui implique une certaine idée de la société et de l’ histoire. Et cette éthique ne peut s’ accommoder ni de l’ arsenal idéologique, ni de l’ arsenal technologique sur lesquels repose la dissuasion nucléaire. Tout scepticisme devant l’ histoire devient ici un aveu d’ impuissance face aux défis qui nous sont lancés par les événements ; il exprime, en réalité, une incompétence et traduit une démission, et, en cela, il disqualifie les hommes politiques qui en font profession.


Mais notre détermination à refuser la bombe atomique, dont nous ne cachons pas qu’ elle s’ enracine dans une conviction que l’ on qualifiera de "morale", s’ enracine en même temps dans une conviction politique. Nous ne pouvons pas nous en tenir à définir la course aux armements comme un mal, il fut affirmer qu’ elle est une maladie. Il ne s’ agit plus d’ un jugement faisant référence aux exigences de l’ éthique, mais d’ un diagnostic faisant référence à des symptômes caractérisés montrant, à l’ évidence, une altération organique du corps social. On peut refuser de reconnaître une maladie, mais celle-ci peut, alors, mieux accomplir son oeuvre de mort.


Jusqu’à présent, nous pouvions penser que la guerre était la mort des autres, mais aujourd’hui la guerre atomique est aussi notre propre mort. Les vieilles générations, encore nourries par l’ optimisme scientiste des deux derniers siècles, semblent incapables de prendre conscience de la folie nucléaire qui s’ est emparée de l’ histoire. Mais les générations qui viennent ne seront pas frappées de cette cécité.


Déjà, les "jeunes" ont perdu la foi dans le progrès technologique et prennent conscience de l’ impasse dans laquelle l’ humanité se trouve engagée depuis Hiroshima. N’ ont-ils pas raison lorsqu’ils considèrent que la victoire sur le fascisme ne sera véritable que le jour où les vainqueurs d’ Hitler auront renoncé à l’ arme nucléaire ? Pour eux, la bombe atomique n’ est nullement l’ instrument de notre sécurité, elle est l’ instrument de notre mort collective. Ils ont pris conscience que ce n’ était pas seulement les civilisations, mais l’ humanité elle-même qui était devenus mortelle. Et l’ angoisse qu’ ils expriment, souvent, ne fait que traduire cette prise de conscience. Au demeurant, cette angoisse peut être salutaire. Car il faut d’ abord que les hommes désespèrent de la civilisation nucléaire pour qu’ ils retrouvent une espérance à l’ horizon de leur histoire.


L’ analyse des faits nous montre que toute la dynamique de la course aux armements se développe dans une sphère absolument étrangère aux véritables problèmes politiques que nous devons affronter. A partir du moment où le pouvoir politique démissionne devant ce processus et renonce à le maîtriser, ce que l’ on a appelé le complexe militaro-industriel devient le centre nerveux de la société moderne. Le développement du phénomène de militarisation qui envahit notre espace social n’ est pas lié aux nécessités de notre défense, mais aux nécessités de notre économie.Le rythme du développement technologique ; en réalité, nous n’ adaptons pas des instruments techniques à la stratégie que nous aurions choisie, nous tentons d’ adapter notre stratégie à des instruments techniques que nous n’ avons pas choisis.


La gauche française qui affirme vouloir maîtriser la croissance industrielle, commettrait une erreur décisive si elle faisait définitivement l’ impasse sur l’ analyse du phénomène de militarisation, pour pouvoir se rallier plus facilement au vieux discours de l’ idéologie dominante, selon lequel "il-faut-une-armée-moderne-pour-se-défendre-efficacement", Pour notre survie, nous sommes obligés de changer radicalement les concepts à travers lesquels nous étions habitués à penser la guerre et sa préparation. Notre pensée doit opérer une véritable révolution copernicienne : nous continuons de croire que la course aux armements est la solution de nos problèmes, alors qu’ elle est devenue l’ un de nos problèmes ; nous continuons de penser qu’ elle garantit notre sécurité, alors qu’ elle fait peser sur nous les menaces les plus graves.


La course aux armements n’ est qu’ une fuite en avant, par laquelle les gouvernements évitent d’ affronter les vrais problèmes politiques de notre temps. Comme on dit d’ un camion qu’ il est devenu fou, la course aux armements est devenue folie : elle échappe à tout contrôle du pouvoir politique. On retrouve ici une loi constante de l’ histoire : les gouvernements se sont toujours lancées dans la préparation de la guerre pour fuir les responsabilités qui leur incombaient dans la préparation de la paix. 3La guerre, disait Bernanos est beaucoup plus facile à remplir que la paix."


Proclamer, d’ autre part, comme le fait Georges Marchais, que "nous voulons de toutes nos forces aller vers la destruction totale de toutes ces armes terribles, vers le désarmement général, universel et contrôlé", n’ est qu’ un exercice de pieuse rhétorique auquel nous sommes habitués depuis longtemps, et dont nous savons depuis toujours qu’ il est parfaitement dérisoire.


Nous en arrivons à la conviction que ce qui retient de nombreux esprits de reconnaître l’ imposture qui enveloppe la bombe atomique, c’ est précisément l’ énormité du volume que celle-ci occupe désormais dans notre espace social, il arrive un moment où les faits accomplis prennent de telles proportions qu’ il y a une réelle difficulté à remettre en cause leur légitimité. L’ argument de la quantité semble se suffire à lui-même et paralyse l’ intelligence. Il nous semble raisonnable d’ avancer que c’ est avant tout à cet argument que se sont rendus les dirigeants de l’ union de la gauche lorsqu’ils se sont ralliés à la stratégie nucléaire.


Les circonstances historiques sont rares où il est possible de prendre une décision dont l’ importance est telle qu’ elle est susceptible d’ être décisive pour l’ avenir de notre société. Les hommes de gauche auront peut-être cette responsabilité et, dans les prochaines semaines, ils doivent décider s’ ils acceptent ou s’ ils refusent de planifier l’ apocalypse nucléaire. Par cette décision, ils choisiront de libérer l’ avenir de notre civilisation ou de le rendre prisonnier du passé.


Le temps qui nous reste est désormais compté pendant lequel nous pouvons faire revivre l’ espérance de voir un gouvernement socialiste "changer de cap" et "changer la vie". Et cette espérance repose tout entière sur les militants de base qui doivent enfin prendre la parole. Il n’ est peut-être pas trop tard...

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